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Samedi 09 Mai 1818 - Follow Me Up To Carlow


Le printemps a beau être frais, il fait une ambiance étouffante à Carlow. À quoi est-ce dû ? À l’immense château médiéval en ruines posté sur la rive de Barrow comme reflet d’un passé humilié, ou bien à la garnison militaire anglaise qui va jusqu’à contrôler les ponts chaque heure ? Je n’avais jamais vu autant de Redcoats au même endroit dans une rue. À leur passage, les gens les saluent ou bien ferment leur fenêtre. À Dublin, il y a beau avoir une milice anglaise, jamais la tension semble aussi palpable, ou alors je suis resté sûrement trop souvent enfermé sur moi-même…

 

La pauvre église de Sainte-Marie d’Irlande n’a même pas eu le temps de réparer ses vitraux que j’ai pu surprendre des gamins sasanach essayer de la caillasser de nouveau. Par pitié, je lui ai donné mes dernières pièces pour aider à une rénovation future. Il y a encore trente ans selon les rumeurs, cette église était un temple protestant qu’Elizabeth I avait récupéré d’une ancienne abbaye. À Carlow, les heures semblent s’écouler d’une manière différente, et les conflits sont d’autant plus tenaces.

 

Et pourtant, les traditions s’évaporent avec le soleil. Dieu que je regrette les Rambling House de campagne ! Jusque-là, mon voyage était toujours bien accueilli avec des maisons laissées vides spécialement pour loger les vagabonds comme moi. En échange de ce couchage gratuit, je n’ai qu’à offrir ce que je possède de plus précieux ; de la musique et des contes. J’ai appris à me servir de ce carnet pour une nuit de sommeil et un repas frugal. J’étais persuadé que personne ne croirait mes aventures lors de mon passage dans les montagnes de Wicklow, et ce fut finalement les histoires préférées du public en veillées ! Chacun embrayait avec un récit à lui, d’une rencontre avec un Voisin, ou bien une légende, un druide… en Irlande, il semblerait que les fées soient aussi communes que les chats ou les vaches.

 

Mais à Carlow, aucune Rambling House. C’est tout juste si chacun a pu garder sa maison sans la céder à un redcoat. Et tout catholique que je sois, ce n’était pas de bon augure d’être pris par un soldat en train de dormir sur un trottoir ou de trainer à l’œil dans une auberge que je ne pouvais payer ! J’ai longtemps réfléchi où je pouvais aller. Se réfugier à l’Église était tentant, si j’avais oublié les vitraux brisés et le vent humide s’engouffrer entre les pierres froides. Mes pas m’ont alors guidé sous le pont de Carlow, et me recroquevillant entre l’arche et la rivière, j’ai fermé les yeux, épuisé.

 

Mais voilà que j’ai été réveillé par un chant. Les flûtes et les bodhráns résonnaient fort et couvraient presque le son du courant. En levant la tête, je crus voir une armée gaëlle, marchant du même pas avec bagpipes et torches tenues à la main. Ils se dirigeaient vers le château en ruines avec ce chant qui se transformait en cri de guerre :

 

Curse and swear Lord Kildare

Fiach will do what Fiach will dare

Now FitzWilliam, have a care

Fallen is your star, low

Up with halberd out with sword

 

On we’ll go for by the lord

Fiach MacHugh has given the word

Follow me up to Carlow!

 

Je suis remonté vers le pont pour mieux observer la procession. Je crois qu’écrire en me cachant va devenir ma spécialité… Le chant racontait une vieille bataille gagnée plus haut, à Wicklow, contre Elizabeth I. Pour un jour de triomphe où le peuple d’Irlande eut l’espoir de vivre libre, il s’en souviendra pour des millénaires… Le seigneur qui avait remporté la victoire hache à la main, Fiach MacHugh O’Byrne, eut beau la perdre a Carlow, il demeura un héros irlandais pour l’éternité. Peut-être qu’il serait fier de voir cette procession dont le vacarme instrumental empoignait si fort aux tripes que toute la garnison resta coite à les regarder reprendre un château en ruine.

 

See the swords of Glen Imayle

They flash all o’er the English pale

See all the children of the Gael

Beneath O’Byrne’s banners

Rooster of the fighting stock

Would you let a Saxon cock

Crow out upon an Irish rock?

Fly up and we’ll teach him manners

 

 

Ils se sont sûrement dit qu’intervenir avec leurs armes contre les haches factices, les sacs à tubes et les vieilles flûtes ne mèneraient qu’à davantage de révolte. Ils ont subi l’affront, le regard dur et les dents serrées. Et jusqu’au matin, la procession de révolutionnaires en herbe est restée sur les ruines du château à chanter et à rire de cette fausse victoire. À présent, le soleil est levé, chacun est retourné endurer les humiliations de la vie quotidienne, et je pense que je vais aller oublier ma fatigue dans le pub en face de l’église.

 


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