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Samedi 11 Avril 1818 - Carolan's Draught


Je viens enfin d’arriver à Wicklow. Je n’aurais jamais cru que les cris de bagarre dans un pub pourraient autant me manquer… Il me semble bien avoir écrit que je me laisserai guider par les Voisins, mais si pour au moins quelques heures ils pouvaient me m’oublier quelques instants, j’en serais très reconnaissant ! For feck’s sake, si j’avais su que je subirais plus de tourment en deux semaines que de toute ma vie…

 

Ça ne partait pas si mal pourtant. J’étais passé par Glendalough où j’ai profité de la cathédrale pour prier, bien que la pluie fine et le manque de toit sur ma tête m’aient quelque peu compliqué la tâche. Je n’étais plus qu’à quinze miles de Wicklow, et après avoir admiré l’eau, les rochers et les tombes, j’ai repris ma route. Et alors que je descendais la montagne, avant Ashford… J’ai entendu un air de harpe. Encore ? Je crois que je n’ai jamais eu autant envie de haïr la harpe. Mais heureusement, c’est passé bien vite… Car cette œuvre-là était d’un ordre divin. C’est bien simple, je n’avais jamais pu de ma vie entendre quelqu’un tirer un son aussi pur d’un instrument, aussi noble soit-il. Et la mélodie, complexe, semblait comme faire frémir les feuilles des arbres… À défaut d’en découvrir le musicien, qui était tout bonnement invisible, j’ai reconnu sa musique. C’était un courant d’air de Carolan, avec ses notes légères, fines et étudiées.

 

Je suis resté immobile, subjugué par cet air. Pendant un instant, j’ai presque regretté de m’être plutôt consacré au whistle qui ne pourrait jamais rendre à merveille la magnificence de cet instrument royal. Je n’avais même pas envie de chercher d’où pouvait provenir le son de cette harpe. Non, malgré tout le bonheur que je ressentais d’avoir le droit d’écouter pareille virtuosité, je n’avais pas hâte de déranger une nouvelle fois une Voisine qui pourrait me faire Dieu ne sait quoi en se rendant compte que je l’avais surprise… Oui, une telle beauté, ça ne pouvait être qu’une fée, bien sûr !

 

Puis, après quelques minutes, la harpe s’est arrêtée. Le vent a fait bruisser les arbres et en quelques secondes j’ai déjà regretté de ne plus entendre l’air divin. Même m’en souvenir est une tâche complexe tant il était somptueux… C’est comme si cela dépassait toute compréhension humaine ! Et tandis que le silence se faisait, la forêt se transformait. Autour de moi, les buissons et les racines paraissaient plus sombres, plus menaçants. J’ai alors vu passer devant moi une chèvre noire. Une très grande chèvre, aux cornes torsadées et à l’œil moqueur, qui s’est arrêtée pour me regarder, et qui a immédiatement disparu sans un bruit dans les buissons. En un instant, je me suis rappelé les légendes de grand-père et j’ai commencé à courir sur le sentier pour sortir du bois… Mais c’était trop tard, évidemment ! J’ai presque entendu un rire derrière moi, alors que j’essayais de m’échapper en vain du sortilège qui m’avait frappé…

 

Heureusement que les Púca sont juste méchant, mais pas criminel. Il m’a laissé tourner en rond, m’observant sans doute depuis les arbres, pendant près d’une semaine. J’imagine que j’ai dû lui offrir un des spectacles les plus drôles qu’il ait pu voir ! Les Púcas adorent perdre magiquement les voyageurs en transformant leurs forêts en labyrinthe. Quand il a compris que j’allais mourir de faim et de soif et que je n’allais plus me débattre dans sa toile, il a levé le sort et enfin j’ai pu découvrir devant moi les portes de Wicklow…

 

Le tavernier a pris ma commande avec le sourire qui s’élargissait au fur et à mesure que je nommais les plats. J’en paierai une partie en jouant ce soir. Mais tout d’abord, il fallait que j’écrive cette rencontre qui fut à la fois la pire… et la meilleure. Qui d’autre peut se vanter, sans mourir, d’avoir pu approcher la musique des dieux ? Allez, une deuxième pinte pour oublier le vide qui résonne dans mes oreilles après avoir entendu cette harpe divine !


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